Comment le rachat manqué de WIN par Alain Mathot a déclenché la fureur du PS envers Nethys et Stéphane Moreau
Ce sont des centaines de pages d’auditions sur lesquelles Sudinfo a pu mettre la main pour nous plonger au cœur des plus gros secrets de l’affaire Nethys, qui a secoué le monde politique liégeois et wallon.
On y retrouve des dates, des noms, des lieux, des comptes rendus détaillés lâchés par des protagonistes de premier plan impliqués judiciairement. De quoi livrer de nombreux éclairages en plusieurs épisodes sur ce dossier. Le premier étant le rachat manqué de WIN, filiale informatique de Nethys, par un certain… Alain Mathot, qui allait en réalité déclencher un séisme au sein du PS. Et signer la destruction du groupe liégeois et de Stéphane Moreau.
« Je vais détruire Nethys et envoyer Stéphane Moreau en prison ». Ce sont les mots qu’aurait littéralement prononcés celui qui était toujours président du PS, Elio Di Rupo, à l’occasion d’une réunion où étaient convoqués les quatre hommes forts du Parti socialiste à ce moment-là, à savoir Frédéric Daerden, Willy Demeyer – qui sera absent suite à son infarctus –, Jean-Pierre Hupkens et Jean-Claude Marcourt. Une réunion qualifiée comme étant « le début de l’enfer pour Nethys », par Stéphane Moreau dans son audition auprès des enquêteurs de la police judiciaire fédérale.
Nous sommes alors le 2 septembre 2019, soit 11 jours avant la formation du Gouvernement wallon, dont le Montois (re)deviendra le Ministre-Président. Pour comprendre son coup de sang qui va entraîner un véritable tsunami politique puis judiciaire pour Nethys, Moreau et Cie, il faut revenir plus d’un an en arrière.
G8 liégeois à la SOCOFE
Avril 2018. Une réunion au sommet de la « task force » de la Fédération liégeoise du PS se tient avenue Maurice Destenay, au siège de la Socofe, où Jean-Claude Marcourt, possède toujours un bureau. Tout le gratin est là : Willy Demeyer, Isabelle Simonis, Jean-Pierre Hupkens, Paul-Emile Mottard, Frédéric Daerden, Alain Mathot, Jean-Claude Marcourt et Stéphane Moreau. Au menu, l’avenir de Nethys et de ses dirigeants. C’est là qu’est mise sur la table par Alain Mathot l’idée d’un « management by-out ». Autrement dit, lors de la revente d’une filiale du groupe, le CEO suivrait le nouvel acheteur et sortirait ainsi complètement et définitivement du périmètre de Nethys, sans devoir payer le préavis chiffré à huit millions d’euros à Stéphane Moreau. L’idée séduit tout le monde.
Réunion secrète à Seraing
Quelques jours plus tard, Alain Mathot, encore lui, convoque une réunion secrète à l’Hôtel de Ville de Seraing. Dans son bureau. Deux autres personnes sont conviées. Philippe Naelten, qui n’est autre que le patron de WIN – une société informatique dans le giron de Nethys –, et le CEO du groupe industriel liégeois, Stéphane Moreau. Celui qui est encore le tout-puissant député-bourgmestre de la Cité du Fer expose son plan : que les trois protagonistes créent une nouvelle société avec un objectif clair, racheter WIN à Nethys. Avec une autre visée dans un second temps : mettre la main sur NRB, gros groupe informatique liégeois.
Mais rien ne bougera dans l’immédiat, car le PS liégeois ne veut surtout pas qu’une privatisation d’outils publics ne vienne donner du grain à moudre au PTB à quelques mois des élections communales d’octobre 2018.
Le tournant de mai 2019
Il faut attendre début mai 2019 pour que quelque chose se passe, avec un tête-à-tête entre Jean-Claude Marcourt et François Fornieri. Le sujet principal est Elicio, filiale de Nethys active dans l’éolien, et plus spécifiquement l’idée d’un partenariat avec John Cockerill en vue de détenir la société qui avait plusieurs centaines de millions de dettes. C’est lors de cette réunion qu’il est aussi demandé au fondateur de Mithra de s’occuper également de WIN. Fornieri accepte à nouveau, tout en menant ces deux opérations avec Stéphane Moreau, ce qui permettrait de le sortir enfin du giron de Nethys.
Et le 21 mai 2019, deux offres sont déposées par Ardentia et Ardentia Tech, les deux nouvelles sociétés du tandem Fornieri-Moreau, pour acquérir respectivement Elicio (pour un euro symbolique mais en assurant le payement des 261 millions prêtés par Nethys à sa filiale) et WIN (10 millions, ramenés à huit le lendemain suite à une réévaluation par McKinsey).
Quelques jours plus tard, le 23 ou 24 mai, au restaurant Il Baro situé à côté du siège de Mithra près de l’Îlot Saint-Georges, un dîner se tient avec autour de la table le triumvirat Marcourt-Fornieri-Moreau. L’objectif : informer celui qui rêve enfin de décrocher la ministre-présidence de la Wallonie de la vente des actifs concurrentiels du groupe liégeois. Soulagé, Jean-Claude Marcourt prévient la présidence du PS que « c’est réglé ». Nous sommes quelques jours avant le scrutin régional et fédéral…
Mathot rencontre Lallemand
Mais c’est en juillet que le dossier va prendre une tournure inattendue. Alain Mathot, qui a donc entre-temps mis sa carrière politique entre parenthèses pour se focaliser sur « son » procès pour corruption dans l’affaire de l’incinérateur Uvélia-Intradel, n’a pas mis de côté sa volonté de mettre la main sur WIN et en reparle à Stéphane Moreau.
Mais celui-ci, tenu par la confidentialité, ne peut lui dire en face que la vente est déjà actée ! Le Sérésien s’entête : il veut rencontrer le patron d’Ethias, Philippe Lallemand, pour lui dire qu’il comptait bien racheter WIN et, dans la foulée, racheter les parts de Nethys dans NRB (12 %) voire la totalité de la société ! Plutôt surpris, Philippe Lallemand s’en émeut dans un SMS qu’il envoie à… Jean-Claude Marcourt pour lui faire part de son étonnement.
Terrasse du Van Der Valk
Dans la même période, toujours en juillet 2019, nouvelle rencontre secrète. Cette fois, c’est la terrasse de l’hôtel Sélys Van Der Valk qui est choisie. Alain Mathot, décidément entreprenant, rencontre avec Stéphane Moreau – qui ne lui a toujours rien dit – deux pointures de NRB, à savoir Henry Thonnart (Nº2 à l’époque) et Melchior Wathelet, ancien ministre cdH devenu CEO de Xpertis, une filiale de NRB. Le refrain est toujours le même : racheter WIN avec quelques amis, puis éventuellement NRB. La séquence n’ira pas plus loin.
Mais les choses vont s’envenimer en cet été 2019. Car tout finit par se savoir. Ces ventes restées secrètes, puisque seuls le CA de Nethys et quelques pointures politiques étaient au courant, s’ébruitent. Alain Mathot et Philippe Naelten découvrent le pot aux roses : WIN est déjà vendu et, de plus, Stéphane Moreau est partie prenante. S’en suit alors une incroyable séquence où s’entremêlent fausses informations et jalousie. Où Philippe Naelten, ami d’enfance d’Alain Mathot, s’émeut de la situation auprès de Julie Fernandez Fernandez, échevine de Liège dont il est très proche pour la pousser à agir auprès d’Elio Di Rupo qu’elle connaît bien pour l’avoir côtoyé à la Chambre et qui l’avait d’ailleurs choisie à l’époque comme secrétaire d’État. Dans quelle mesure l’intéressée lui a-t-elle transmis des informations ? Impossible à dire précisément.
Mais toujours est-il que nous en arrivons alors à cette fameuse date du 2 septembre 2019, où c’est un Elio Di Rupo bouillonnant de rage qui reçoit les caciques du PS liégeois, faisant un focus sur WIN « sous-estimé car il détient le contrat du Forem » et que l’acquisition par Ardentia Tech est un vol. S’en suivent les menaces envers Nethys et Moreau.
Fureur au PS
À aucun moment durant tout le mois de septembre 2019, Paul Magnette ou Elio Di Rupo ne recevra Pierre Meyers et Muriel Targnion, les présidents de Nethys et d’Enodia, pour justifier la démarche économique là derrière.
La suite, on la connaît. Tout va s’enchaîner très vite et le 6 octobre sera une journée folle. À midi, lors d’un point presse, Elio Di Rupo et Pierre-Yves Dermagne, les Ministre-Président et Ministre des Pouvoirs locaux de Wallonie, annoncent qu’ils cassent les ventes des filiales VOO, Elicio et WIN. L’après-midi même, le top du PS liégeois (Marcourt, Daerden, Demeyer, Hupkens et Gillard) est convoqué à l’Elysette avec comme ordre de révoquer les administrateurs de Nethys qui avaient validé lesdites ventes. Les récalcitrants, comme la présidente Muriel Targnion, seront menacés quant à la suite de leur carrière politique s’ils n’embraient pas.
Après quelques jours de résistance, Fornieri, actionnaire principal des sociétés qui allaient racheter Elicio et Win, cède et renonce. Entre-temps, le nouveau conseil d’administration de Nethys présidé par Laurent Levaux a licencié Stéphane Moreau, Bénédicte Bayer ou encore Pol Heyse. Tous trois, ainsi que François Fornieri, Jacques Tison ou encore Pierre Meyers sont inculpés dans ce dossier.
Voici le schéma réalisé à la main par Alain Mathot qu’il présente à Moreau et Naelten. Il est dans le dossier judiciaire :
et trop content d'avoir quitté NRB pinaise.
