Dans le domaine médical, Philippe Devos est loin d’être un inconnu à Liège. Ancien conseiller communal MR en Cité ardente; il est surtout le président du Syndicat belge des Médecins ABSYM, mais également médecin intensiviste et président du conseil médical au CHC Liège. L’occasion pour lui de faire un état des lieux complet et précis de la situation liée au coronavirus dans notre pays. Contagion, mortalité, réactions… Philippe Devos apporte de nombreuses réponses. Jusqu’à 850.000 personnes pourraient être infectées par le coronavirus en Belgique. Voici le scénario catastrophe et ce que vous pouvez faire pour l’empêcher.
Précisons-le d’emblée, car c’est important: le médecin liégeois Philippe Devos se base uniquement sur des chiffres officiels pour développer son raisonnement: SPF santé publique (ministère), OMS (Organisation Mondiale de la santé) et CDC (Organisme national américain des maladies infectieuses). Voici les différentes questions que le président du syndicat belge des médecins (Absym) pose et ses éléments de réponse.
Dans un long article sur son blog, le Dr Philippe Devos explique comment le coronavirus peut se propager en Belgique. «Pour évaluer la contagion, on parle du R Zéro du virus. Cela signifie combien de gens vont attraper le virus si on place un individu malade dans une pièce avec 100 personnes. Le R zéro de la grippe est de 1,3; du coronavirus est de 2,2 et de la rubéole est de 6», explique le Président du plus grand syndicat Belge de médecin ABSYM.
Il se lance ensuite dans un calcul. Le temps moyen d’incubation du coronavirus est de 6 jours, après cette durée, cela signifie donc que si l’on place un individu malade dans une pièce de 100 personnes, il y aura 3,2 malades (2,2 malades et le 1e malade). Au 12e jour, les 2,2 vont chacun contaminer 2,2 personnes. On sera donc à 7,6 malades. Au 18e jour, on atteindra 24 malades. «Vous comprenez aisément qu’un petit foyer peut rapidement entraîner une grande maladie. Pour comparer à la grippe saisonnière, le coronavirus est donc 1,7 fois plus contagieux que la grippe saisonnière. Or en Belgique, la grippe touche 500.000 personnes en moyenne par an. Sans mesures de précaution plus drastiques qu’avec la grippe, on risque donc d’avoir 1,7 x 500.000 = 850 000 personnes infectées par le coronavirus en Belgique».
Pas assez de lits
Si on analyse ces chiffres sur base des cas chinois et italiens, on découvre que, sur les 850.000 malades, «117.000 personnes seront hospitalisées et 52.000 personnes ayant besoin de soins intensifs. Il y a 30.000 lits aigus adultes dans les hôpitaux belges. Parmi ceux-ci, on retrouve environ 1.400 lits de soins intensifs qui disposent de machines (respirateurs, dialyse…) permettant de gérer les cas les plus graves de coronavirus. 30 000 lits pour 117.000 personnes à hospitaliser et 1.400 lits pour 52 000 personnes à admettre en soins intensifs. Il ne faut pas être grand mathématicien pour comprendre que sans rien faire, on va avoir un problème».
Plus de 33.000 décès
La suite de son discours est dotant plus interpellant. «Une fois ces lits remplis, le patient ne pourra plus être soigné par des moyens technologiques élevés. Il rentrera à domicile et sera soigné avec les moyens du bord. Cela explique alors une flambée de mortalité qu’on observe dans les régions où le système de soins a dépassé la saturation. À titre d’exemple, la mortalité du virus en Italie est de 2,6%. Elle monte à 3,9% dans les zones où les hôpitaux ont été saturés», souligne le Dr Devos. «On a un gros risque donc de monter à 3,9% de 850.000 personnes c’est-à-dire 33.150 morts sur 11 millions d’habitants (0,3% de la population belge qui meurt)». Si cette situation catastrophe se confirme, 100.000 soignants pourraient être contaminés et le plan «pandémie» devrait être enclenché dans les hôpitaux avec, par exemple, des reports d’opérations non vitales. «On sait depuis la grippe espagnole de 1918 que lorsqu’on est dans cette phase hospitalière, on a une augmentation du nombre de morts liés à d’autres maladies (cardiaque…) chez des non infectés en raison du manque de structures inoccupées et de personnel non infecté. On risque donc de passer de 33.000 morts directs à plutôt 50.000 morts directs et indirects. C’est le scénario du pire».
Besoin d’interpeller
Mais, le médecin se veut optimiste. «La priorité absolue est d’éviter d’atteindre ces 850.000 infectés. C’est encore faisable. Vous avez votre responsabilité dans cette priorité: respectez les mesures d’hygiène. Bref, éduquez autour de vous les gens à l’hygiène de base, partagez ce texte mais restez toutefois rassurés: à moins d’être octogénaire, le risque d’en mourir reste aux alentours de 0,1%. Avec l’aide de tous, le virus sera contenu et les morts ne se compteront que par centaines, comme pour une grippe. Et les grincheux qui n’ont rien compris diront qu’on a alarmé la population pour rien. Ainsi va la vie…», conclut Philippe Devos.
Le scénario du docteur Philippe Devos en chiffres:
1. Le coronavirus est-il fortement contagieux?
Pour évaluer la contagion on parle du «R Zéro» du virus. Cela signifie combien de gens vont attraper le virus si on place un individu malade dans une pièce avec 100 personnes.
Le «R zéro»:
–De la grippe est de 1,3
–Du coronavirus est de 2,2
–De la rubéole est de 6
Le temps moyen d’incubation du coronavirus est de 6 jours, cela signifie donc que si l’on place un individu malade dans une pièce de 100 personnes, on aura:
–À J+6: 2,2 personnes malades + le premier malade = 3,2
–À J+12: les 2,2 vont chacun contaminer 2,2 personnes => 3,2 + 2,2 + 2,2 = 7,6 malades
–À J+18: 24 malades = 24% de la population
La conclusion de Philippe Devos: «Un petit foyer peut rapidement entraîner une grande maladie.»
Jusqu’à 850.000 Belges infectés
Qui fait la comparaison avec la grippe saisonnière: «Le coronavirus est donc 1,7 fois plus contagieux que la grippe saisonnière. En Belgique, la grippe touche 500.000 personnes en moyenne par an. Sans mesures de précaution plus drastiques qu’avec la grippe, on risque donc d’avoir 1,7 x 500.000 = 850.000 personnes infectées par le coronavirus en Belgique.»
2. En quoi est-ce un problème?
Les chiffres italiens et chinois, fort semblables, rapportent que:
–13,8% des patients atteints ont une pneumonie nécessitant de l’oxygène et une hospitalisation;
–6,1% des patients atteints ont une pneumonie avec plusieurs organes défaillants nécessitant une hospitalisation en soins intensifs.
117.000 personnes hospitalisées en Belgique
Dès lors, en se basant sur les 850.000 personnes potentiellement infectées à terme en Belgique, cela donnerait:
–117.000 personnes hospitalisées
–52.000 personnes ayant besoin de soins intensifs.
Or, toujours d’après Philippe Devos, «il y a 30 000 lits aigus adultes dans les hôpitaux Belges. Parmi ceux-ci, on retrouve environ 1.400 lits de soins intensifs qui disposent de machines (respirateurs, dialyse…) permettant de gérer les cas les plus graves de coronavirus.»
Concrètement, on aurait donc, en Belgique, 30.000 lits pour 117.000 personnes à hospitaliser. Et 1.400 lits pour 52.000 personnes à admettre en soins intensifs. Pour le président du Conseil médical du CHC de Liège, «une fois ces lits remplis, le patient ne pourra plus être soigné par des moyens technologiques élevés. Il rentrera à domicile et sera soigné avec les moyens du bord. Cela explique alors une flambée de mortalité qu’on observe dans les régions où le système de soins a dépassé la saturation.» Et de donner l’exemple de l’Italie, où la mortalité du virus est de 2,6%, mais qui monte à 3,9% dans les zones où les hôpitaux ont été saturés.
Un potentiel de 33.150 morts
Cette situation de saturation des lits engendrerait comme gros risque potentiel, en Belgique, de monter à 3,9% de décès parmi les personnes infestées. Autrement dit, 3,9% de 850.000 personnes risquent de décéder. Soit 33.150 morts sur 11 millions d’habitants (0,3% de la population belge qui meurt). «C’est «peu» – on ne va pas tous mourir comme on l’entend parfois – mais quand même 100 fois plus que le nombre de tués sur les routes chaque année», souligne Philippe Devos.
3. Comment devraient réagir les autorités?
Nous sommes en «phase 2» en Belgique depuis ce 1er mars. Ce qui signifie que l’on travaille à minimiser la propagation.
Les gestes à adopter
Comment? Via des mesures d’hygiènes de base:
–Dire bonjour de loin: ne serrez pas les mains et ne faites pas la bise;
–Se laver les mains (savon + eau ou solution hydroalcoolique sur mains sèches) après chaque contact avec des fluides corporels (tousser, se moucher…);
–Utilisez des mouchoirs jetables;
–Éternuez et toussez dans votre coude;
–Restez à la maison avec le moins de visite possible si vous êtes malades.
L’étape controversée suivante est la phase 3: réduire les rassemblements modérés. Autrement dit, on ferme les écoles, les trains, les bus, on interdit aux gens venant de zones très contaminées de venir travailler,etc.
«Il est possible que la phase 2 ou 3 réussisse à endiguer la propagation du virus. Seulement quelques centaines d’individus auront été contaminés et les hôpitaux ne seront pas en overbooking. C’est ce qu’on espère», appuie Philippe Devos.
Si on n’arrive pas à endiguer, les hôpitaux seront saturés
Si les hôpitaux sont à saturation, l’ABSYM pointe différents problèmes:
–Toutes les hospitalisations programmées seront annulées (opération du genou…) pour une durée indéterminée et sauf urgence vitale;
–On va couper les hôpitaux en une zone «infectée» et une zone saine;
–Ensuite, on va raccourcir au maximum les durées de séjour à l’hôpital: les gens sortiront plus tôt que d’habitude et on va admettre moins facilement les gens à l’hôpital lorsqu’ils viennent aux urgences;
–Ensuite, on va «pousser» les lits: on va utiliser les respirateurs des salles d’opération et de réveil pour faire des «extensions» des unités de soins intensifs, on va convertir des chambres individuelles en chambre commune…
–Et si on est encore noyé malgré tout, nous appliquerons le principe éthique de justice distributive: entre un jeune de 40 ans avec un infarctus et un senior de 90 ans avec le coronavirus, nous réserverons le lit pour le jeune et enverrons le senior à domicile. Il n’y aura plus le choix.
Les soignants seront aussi malades, pointe le docteur Devos.
Le scénario du pire: 50.000 morts directs et indirects
Dès lors, à cause du manque de structures inoccupées et du manque de personnel non infecté, on risque donc de passer de 33.000 morts directs à plutôt 50.000 morts directs et indirects. «C’est le scénario du pire», souligne toutefois le Liégeois.
4. Conclusion
Philippe Devos conclut donc en cinq points:
– La priorité absolue est d’éviter d’atteindre ces 850.000 infectés. «C’est encore faisable et cela dépend du comportement adéquat de tous»;
–Le risque d’avoir un souci majeur dans les hôpitaux est réel. Personne ne le prend à la légère dans les directions hospitalières;
– Nous n’allons pas tous mourir : dans le pire scénario, 0,4% des Belges mourront, en large majorité dans les plus de 80 ans. «Arrêtez la psychose»;
– Éduquez autour de vous les gens à l’hygiène de base ;
–Avec l’aide de tous, le virus sera contenu et les morts ne se compteront que par centaines, comme pour une grippe.
Source:
https://liege.lameuse.be/527533/article ... -chez-nous